Oxmo Puccino : « Seul le travail paie, de préférence le travail fait avec amour »
Entre deux répétitions pour son concert dans les jardins du Palais-Royal, à Paris, dans le cadre de la Fête de la Musique, ce samedi, Oxmo Puccino a pris le temps de répondre à nos questions.
Rappeur, conteur, acteur, auteur, l’artiste multiplie les casquettes, en ogre de travail jamais rassasié, éternel curieux. Tour d’horizon des 1001 vies de cette figure majeure de la scène musicale française, trop grand pour les étiquettes toutes faites :
Comment vas-tu ?
Très bien et vous ?
Tu te produis au Palais Royal pour la Fête de la Musique ce samedi, qu’est-ce cette journée représente pour toi ?
Cette année c’est surtout l’occasion de retrouver les copains et de faire une grande fête à Paris 1an après le Zenith. La tournée s’est terminée en décembre quand l’invitation nous a été faite, j’ai surtout pensé au plaisir de retrouver mon équipe, à la chance de jouer dans un tel endroit et à l’occasion qui m’était donnée d’offrir un concert gratuit à mon public.
Sur ton dernier album (Roi sans carrosse, 2012), tu disais que le métier d’artiste est à la fois facile et difficile. Ta vision sur ce sujet a-t-elle changé au fil du temps ?
Disons qu’elle a évolué. Au départ, je ne me considérais pas comme tel, je ne pensais même pas faire un album, une carrière. C’était notre quotidien, notre vie. Et puis les choses commencent à devenir sérieuses alors il faut travailler, travailler, lire,écrire, lire et encore écrire, écouter de la musique, s’intéresser à la composition, aux autres formes d’art. Des gens talentueux j’en ai connu beaucoup mais le talent ne suffit pas, il faut l’entretenir, le développer, le travailler. Quand je vois Vincent Segal, après plus de 30ans de pratique de son violoncelle continuer de jouer des heures et des heures chaque jour, répéter ses gammes, travailler encore et encore. Être artiste c’est ça aussi, la passion, la curiosité, l’écoute, le travail, l’audace.
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Ton style musical ne cesse d’évoluer, et ce, depuis tes débuts. Doit-on te présenter autrement que comme un rappeur ?
L’étiquette c’est l’autre qui vous la met. Je ne me pose pas la question. Je suis né avec le rap. J’ai grandi avec. C’est une culture qui nous a frappé dans les années 80, C’est le moyen d’expression que j’ai trouvée. Je suis fier d’être un rappeur et fier d’être devenu un artiste, grâce à celles et ceux qui m’entourent et m’accompagnent, grâce à mon public qui me comprend et qui me suis. Appelez-moi comme vous voulez.
Y-a-t-il un thème dans l’actualité récente que tu souhaiterais adapter en chanson ?
J’évite d’être trop dans l’actualité car souvent ce sont des chansons qui vieillissent mal. Elles font sens au moment mais qu’en est-il lorsqu’on les réécoute 10 ans plus tard ?
À Paris, on retrouve un peu partout et depuis un peu plus d’un an, un tag “L’Amour Est Mort”, qui est le titre de ton deuxième album, et une référence à une chanson de Brel. Qu’est-ce que ça te fait ? Tu es déjà tombé sur l’un d’entre eux ?
Oui bien sûr que je l’ai vu. Ça m’amuse et ça m’honore quelque part.
D’ailleurs, est-ce que cela te fatigue que l’on te compare à Brel ?
Ce n’est pas la comparaison qui me fatigue. Être comparé à un si grand artiste est un honneur. Ce qui parfois m’agace c’est lorsque cela sort de la bouche de gens qui ne connaissent ni mon travail, ni le sien.
« J’ai besoin d’explorer de nouvelles disciplines pour continuer mon apprentissage »
Plus le temps passe, plus tu diversifies tes activités, en montant sur scène en tant qu’acteur, en publiant des livres, en réalisant ton premier court-métrage. Pourquoi ?
Parce que je suis curieux. Parce que j’ai besoin d’explorer de nouvelles disciplines pour continuer mon apprentissage. Allez vers l’inconnu c’est se donner l’occasion de se surprendre. Mon métier premier c’est d’écrire des chansons mais j’ai toujours eu envie d’écrire des livres, d’écrire pour le cinéma. Après il faut du temps, être prêt, avoir des choses à raconter, développer un point de vue. Je prends mon temps ne serait-ce que par respect pour les auteurs de poésie ou de littérature que j’admire ou pour ces grands scénaristes dont je connais la complexité de leur travail. Autant que j’aime lire des romans, des nouvelles, des poèmes, des essais, des notices, j’aime l’écriture sous toutes ces formes
Tu travailles sur une version d’Alice au pays des merveilles avec Ibrahim Maalouf. Comment s’est développé ce projet ? Où en est-il en actuellement ?
En 2011, le festival d’Ile de France a sollicité Ibrahim Maalouf pour un projet musical autour du conte. Ibrahim m’a proposé de travaillé avec lui sur Alice aux Pays des Merveilles. Pour sa part il a écrit et composé 12 thèmes musicaux, de mon côté j’ai réécrit 12 chansons inspirées d’Alice. Il y avait avec nous 130 choristes, 25 musiciens, aussi bien professionnels qu’issus des musiques amateurs. Cela a donné lieu à un grand concert à l’académie Fratellini. Un souvenir fantastique. Du coup on a décidé avec mon camarade d’enregistrer l’album qui sortira à l’automne et qui donnera lieu à 4 représentations à la Cité de la Musique en février. C’est une œuvre hybride, sorte d’opéra moderne et multiculturel qui ne ressemble à rien d’autre.
« Derrière chacun de mes flowers, il y a une histoire, un talent, un souvenir que nous avons partagé et d’autres que nous allons être amenés à vivre. »
Tu utilises beaucoup les réseaux sociaux, pourquoi ?
J’ai un rapport très particulier avec l’informatique, internet et les réseaux sociaux. Pour un artiste c’est une occasion fantastique de renforcer le lien avec mes flowers, de faire des rencontres, des découvertes, de les remercier. Si je suis encore là 20 ans après c’est grâce à eux. Alors j’en profite pour m’adresser à eux directement, parfois offrir une chanson, partager une humeur, les convier à un événement ou parfois faire des découvertes.
Deux exemples qui me viennent, grâce à ce lien là, j’ai rencontré une photographe (Lydie / Sweet Moments) via instagram, elle est venue faire des photos sur un de mes concerts, ou encore j’ai découvert un artiste qui avait dessiné sa vision de roi sans carrosse, du coup je lui ai demandé de dessiner sa vision de tous les albums et on va collaborer ensemble autour d’une série d’affiches en édition limité. Derrière chacun de mes flowers [followers, aka abonnés Twitter], il y a une histoire, un talent, un souvenir que nous avons partagé et d’autres que nous allons être amenés à vivre.
Tu as même consacré un livre à tes tweets, 140 Piles (Au Diable Vauvert, 2014), sorti récemment. Comment est venue l’idée de ce livre ?
Cela faisait deux ans que j’en avais envie. Je pensais à tous ceux qui n’étaient pas sur twitter, je pensais à tous ces mots jetés au vent dans l’espace virtuel, je voulais les fixer sur papier pour leur donner une part d’éternité.
« J’ai allégé mon écriture […] Je travaille plus désormais sur l’effet, la portée immédiate. »
140 caractères, ce n’est pas un peu court pour toi, dont les textes sont très fournis ?
Au fur et à mesure, j’ai allégé mon écriture, enlevé des mots, raccourci les couplets. Je travaille plus désormais sur l’effet, la portée immédiate. Et puis lorsque vous faîtes des concerts en série, vous commencez à écrire en pensant au live, au rythme effréné, vous travaillez pour qu’il n’y ai pas de mots superflus, vous taillez le verbe pour lui donner sa forme la plus belle. Et puis j’aime beaucoup les formes courtes, celles qui consistent à exprimer en peu de mots une idée, une émotion, je pense aux aphorismes, aux proverbes, aux Haiku.
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Quel est le tweet dont tu es le plus fier ?
Ce n’est spécialement celui dont je suis le plus fier mais c’est une bonne définition :
Mes lettres rechargent les téléphones sans fil, car mon tweet cumule 140 caractères piles…
Le tweet que tu regrettes ?
Je n’en regrette aucun. Certains peuvent être plus anecdotiques mais ils sont le reflet d’une réflexion, d’une émotion à un instant précis.
Internet a l’air d’être un sujet qui te passionne : tu as même tenu ton premier rôle au théâtre dans un opéra consacré à Steve Jobs. En tant qu’artiste, mais peut-être aussi citoyen, comment vois-tu Internet ?
Vaste sujet. Nous avons à portée de doigts un outil fantastique, une fenêtre vers tout un tas d’information. Le tout est de savoir s’en servir.
« Je regrette de ne pas avoir le temps de pouvoir écouter plus de musique. »
Pour revenir à la musique, tu soutiens Stromae, tu as fait un duo avec MAI LAN– pour ne citer qu’eux – quel regard portes-tu sur la nouvelle génération de chanteurs dont ils font partie ?
Je regrette de ne pas avoir le temps de pouvoir écouter plus de musique. Ce qui me plaît aujourd’hui c’est que l’on a affaire à des artistes décomplexés, qui cassent les barrières, mélangent leurs influences. Le niveau global des jeunes musiciens est devenu très bon mais aucun d’entre eux ne doit oublier que seul le travail paie, de préférence le travail fait avec amour. En l’occurrence c’est le cas de Stromae et MAI LAN.
Quelles sont tes récentes découvertes musicales ?
Il y a un auteur / compositeur dont vous entendrez bientôt parler qui s’appelle Paul Ecole que j’aime beaucoup car lui fait vivre la langue française avec beaucoup de sensibilité, de poèsie
Dans un autre registre j’aime beaucoup Redouanne Harjane,
Même s’il est plutôt sombre, j’aime beaucoup le premier album de Damon Albarn, la qualité musicale, la production.
Et puis il y a tous ces jeunes qui poussent les murs, qui travaillent dur, je pense à Nemir dont j’attends l’album avec impatience, Phases Cachées qui ont compris qu’un artiste n’était rien sans la scène, Chance the Rapper pour l’esprit général, Liane la Havas, Sarh..bref beaucoup de raisons de se faire du bien.
Quel est l’album qui te ressemble le plus (l’un des tiens, ou autre) ?
Il faudrait, je crois, faire une compil pour cela !!
Quelle est la question que tu rêves que l’on te pose ?
La prochaine !
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Morgane Giuliani