« J’ai commencé à écrire certains films parce que j’avais une idée à partir d’une chanson. » Xavier Dolan ne se contente pas d’accompagner ses scènes avec de la musique : il construit ses films autour d’elle. La musique chez Dolan est un élément narratif à part entière, une porte d’entrée vers l’émotion brute. Il explique notamment que Mommy est né d’un morceau, Experience de Ludovico Einaudi, qui a déclenché en lui l’envie de raconter une histoire, comme une étincelle créative.
Depuis ses débuts, Xavier Dolan s’est imposé comme un cinéaste qui maîtrise l’art du mariage entre images et sons. En revisitant ses films à travers leur bande-son, on comprend mieux comment il sculpte l’émotion avec la musique. Voici quelques-uns des moments musicaux les plus marquants de sa filmographie.
Bang Bang – Dalida | Les Amours Imaginaires (2010)
Une scène qui s’annonce comme un duel à couteaux tirés, mais avant de sortir les armes il faut se préparer. Francis et Marie s’apprêtent chacun de leur côté, leur salle de bain se transformant en vestiaire d’une salle de boxe. Pour être le meilleur au moment d’enjamber les cordes du ring (ou de pousser les portes du restaurant où ils vont retrouver Nicolas), c’est Bang Bang que Dolan choisit, chanté par Dalida. “Bang bang, he shot me down / Bang Bang I hit the ground”, pour Marie comme pour Francis la chute sera difficile.
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Pass This On – The Knife | Les Amours Imaginaires (2010)
Marie et Francis, mais cette fois en soirée. Juste devant, Nicolas et sa mère sont en train de danser, et tout ce qui passe par la tête de Francis et Marie vient se superposer à la scène, laissant leurs fantasmes se projeter. Une bascule se fait et les notes de synthé de Pass This On s’impriment plus nettement, suivant le rythme des jeux de lumière qui éclairent le dancefloor de l’appartement pour créer une scène étourdissante.
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Moisture – Headman | Laurence Anyways (2012)
Pas de walk of shame pour Laurence ici, au contraire il s’affirme devant le regard de tous les élèves. Et pour ça il fallait un son qui donne de l’assurance. Si Laurence écoutait sa musique à ce moment-là, c’est Headman qui passerait dans son casque. Une entrée fracassante, un peu comme celle de Fred sur Fade to grey dans le même film. Plus qu’une bande-son pour le film, Dolan sait nous faire entendre la bande-son de ses personnages.
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New Error – Moderat | Laurence Anyways (2012)
Le son électro hypnotique de Moderat s’installe et dévore la scène, nous laissant immergés dans une tempête émotionnelle. Xavier Dolan parvient à faire résonner la musique dans nos esprits bien après le générique de fin.
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On ne change pas – Céline Dion | Mommy (2014)
Une cuisine, trois personnages et un CD du “trésor national” québécois. Point culminant du film, dans cette scène Dolan redonne habilement ses lettres de noblesse à Céline Dion. On ne change pas, Steve et sa mère ne changeront pas, mais toute la question posée par cette scène pour Dolan est de savoir s’ils seront acceptés comme ça.
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Dragosta Din Tei – O-Zone | Juste la fin du monde (2016)
Pourtant utilisé au début de la scène comme la musique de la chorégraphie d’aérobic de Suzanne et sa mère, le morceau cesse d’être le tube qu’on entendrait au détour d’un couloir de supermarché et se charge en émotions. Dolan ouvre une petite faille spatio-temporelle pour faire le pont entre le moment présent et les souvenirs heureux de l’enfance de Louis. Ou comment sublimer un tube de boys band.
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Genesis – Grimes | Juste la fin du monde (2016)
Chez Dolan, les transitions entre les plans se font par la musique. Alors que Suzanne parle avec son frère qu’elle n’a pas vu depuis douze ans sur fond de rock, Louis est ailleurs, attiré par la pièce qui retient ses souvenirs d’adolescence. L’extrait musical est court, à l’image de la porte légèrement entrebâillée qui le renvoie à sa nostalgie. Genesis, de Grimes, démarre doucement et occupe l’espace de la porte entrouverte.
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Home is where it hurts – Camille | Juste la fin du monde (2016)
Louis rentre chez lui, depuis le taxi les paysages et les visages défilent et il redécouvre l’endroit d’où il vient. Dolan choisit Home is where it hurts, de Camille, au titre assez transparent. La voix de Camille se déchire au moment du refrain, un peu comme le déchirement que Louis éprouve en sachant qu’il fait un voyage difficile et qu’il regarde un paysage familier pour la dernière fois.
Xavier Dolan et la musique : une signature inimitable
Dolan ne se contente pas d’illustrer ses films avec des morceaux bien choisis : il sculpte ses scènes à travers la musique. Chaque chanson devient un personnage à part entière, un moteur narratif, un vecteur d’émotion.